LES ELLES DU PLAISIR
Interview prise dans le magazine Jade, avril/mai 98
Nul ne sait pourquoi, un jour, il lui arrive de rire après une
chute de vélo. Nul ne saura également pourquoi il s'est entiché
des Elles au point d'en fredonner les gnougnouteries qui dans la cuisine,
qui en lisant Strange, qui devant la serpillère espagnole du dimanche
matin. Maniant la tourbe des rapports humains et les vicissitudes de l'âme
avec la polissonne espièglerie d'une Elli Medeiros, la sale clairvoyance
d'un Miossec, l'envol branque de Cibo Matto ou l'outrecuidante tendresse
des Brochettes, Pascaline Herveet (chant, textes, mélodies) et ses
trois comparses sont de ces mûtines du Bounty à qui l'on donnerait
le fond de la classe sans confession. Ce serait passer à côté
d'un vrai talent qui, après deux albums, fait de ce vrai-faux girls
band normand citron vert le digne héritier d'une certaine idée
de la chanson française où l'ironique sait se faire onirique.
Car, comme le chante Pascaline, "les talons hauts, ça fait sourire
les fesses".
J'ai commencé à chanter lorsque
j'étais au lycée. Au lycée expérimental d'Hérouville
Saint-Clair, à côté de Caen. C'était un projet
avec une amie pianiste. J'avais 19 ans. Depuis je ne me suis plus arrêtée.
J'ai chanté dans les rues. J'avais un répertoire de chanson
de rue et je me faisais accompagner à l'orgue par l'actuelle pianiste
des Elles. J'ai fait des pianos-bars. Puis le Studio des variétés,
l'école de la Sacem pour les chanteurs-interprètes, pendant
deux ans. J'ai ensuite monté un spectacle intitulé Y'en a
marabou, sur la base de chansons de Serge Gainsbourg et Boris Vian. Ca
n'a pas du tout marché. Je me suis arrêtée pendant
un an...
Jade : ... De désespoir ?
Pascaline Herveet : Non une année de recherche.
me sentant surtout une chanteuse-interprète, je ne voulais pas écrire
de textes et ne trouvais personne qui m'écrivait ce que je recherchais.
Durant une année, je suis un peu partie dans tous les sens. Ensuite,
j'ai franchi le cap, commencé à écrire et monté
les Elles. C'était il y'a quatre ans.
Avec des filles connues par ailleurs ?
Non, à part la pianiste. Tout s'est fait
au gré des rencontres hasardeuses. Par l'intermédiaire de
copains. La première année fut un peu laborieuse. Probablement,
parce qui'il n'y avait que moi qui voyais où je voulais en
venir et que c'était difficilement exprimable. En même temps,
je n'avais pas d'argent pour payer les gens lors des répétitions
et je leur demandais beaucoup d'investissement personnel. Dès lors,
on peut considérer que c'est un miracle si le groupe a tenu jusque
là. Comme s'il y avait un truc qui tenait tout le monde. Comme si
tout le monde avait senti qu'il y avait quelque chose à faire.
La signature sur Chantons sous la truie, le label
chanson française de Boucherie, a dû précipiter les
choses...
Ca a été une chance. Et simplement
après une petite année de travail. Tout de suite, il y a
eu une concrétisation et un espoir pour tout le monde. Je ne pense
que l'on aurait tenu trois ans à travailler dans un coin comme ça
sans être payée. En plus, cette signature nous a fait trouver
un tourneur. On s'est mis à faire énormément de scènes.
Des concerts-spectacles par ailleurs très
visuels...
C'est vraiment un choix de départ. Pour
moi, ça toujours été un spectacle. J'ai toujours eu
envie d'avoir des conditions de spectacle. La première année,
on a fait pas mal de petits lieux et de salles pas très agréables.
Ca fait un an que l'on tourne dans de beaux lieux. Et même quand
c'est petit, il y a un minimum d'équipement, un réel acceuil,
une ambiance qui n'est pas du tout celle à laquelle on peut être
confronté quand on fait du piano-bar, par exemple, où l'on
est vraiment pris pour du bétail, où l'on est sous-payés.
Les Elles, ce n'est pas de l'animation bar. soit les gens écoutent,
soit ce n'est pas ça du tout. J'adore, pour cela, un groupe comme
Les Tétines Noires qui a un aspect visuel très fort. Sur
scène, je suis autant une actrice qu'une chanteuse. C'est le même
métier. En tout cas, je travaillerais de la même façon
si je devais travailler un rôle.
Votre dernière tournée nous a permis
d'admirer de splendides pyjamas...
Ca m'est venu en pensant à Peter Pan.
Cette image où il s'envole avec tous les enfants en chemise de nuit...
Je trouvais que le monde de la nuit et du rêve nous collait bien
à la peau. Et puis je n'avais pas du tout envie que l'on soit habillé
comme tout le monde. Pour ça, le pyjama est une valeur sûre.
Je n'avais pas envie de jouer sur le fait que l'on soit quatre femmes,
sortir nos plus belles robes... Je ne voulais pas du tout de ce rapport-là
avec le public.
Votre expérience du cirque vous a-t'elle
aidée dans cette approche du public ?
Je pense que l'on ressent un peu de cet univers
à travers la musique des Elles. Je suis une enfant de la balle.
Mon père a un cirque (le cirque du docteur Paradis, ndlr). J'ai
baigné dedans sans jamais me poser la question de savoir si j'avais
envie de faire du cirque. J'ai appris certaines techniques naturellement
parce que c'était mon environnement. Mais ce n'était pas
vraiment mon truc et je n'ai pas poussé plus loin. Puis le fait
de travailler avec son père, il y avait tout de suite une exigence
qui, je crois, m'a donné envie de partir vers autre chose. Par contre,
la vie de cirque, le chapiteau, ce sont des choses vers lesquelles je reviendrais
parce que je suis vraiment attirée par ça.
Et l'expérience japonaise ?
C'était avant les Elles. J'y suis restée
un mois. En interprète de chansons françaises. J'étais
la chanteuse française par excellence. Avec un répertoire
que je n'avais d'ailleurs pas forcément choisi mais dans lequel
j'essayais de mettre des trucs à moi. Un travail pas plus intéressant
que celui d'un piano-bar classique. Je chantais dans des hôtels Hilton,
devant à peu près le même public que tu peux rencontrer
à l'Hilton de Paris. Essentiellement masculin. Avec toujours ce
fantasme de la chanteuse, de la petite française... Enfin, un rapport
au public pas très intéressant.
Mauvais Sang, Les Ailes du Désir ...Vos
textes contiennent de nombreuses références à un certain
cinéma ?
... Oulah, ça fait hyper longtemps que
je ne suis pas allée au cinéma. J'y vais très très
peu.
Parce que chaque fois que j'y vais, je suis déçue.
J'aime vraiment quand le cinéma est créatif, que les réalisateurs
utilisent la richesse du cinéma, le son, l'image, la lumière.
Je trouve que c'est un art d'une richesse incroyable et qu'il y a finalement
très peu de gens qui cherchent, qui sont audacieux. J'en ai un peu
ma claque du cinéma français. Je trouve que ça devient
caricatural, ces jolies petites histoires avec ces gens qui ne sont pas
comédiens, des images simples. C'est pour ça que j'aime Carax.
Lui fait vraiment du cinéma. Lynch aussi. Eraserhead, ça
c'est du cinéma. C'est un voyage. On part.
Carot-Jeunet ?
Non, je n'aime pas du tout. Je n'accroche pas
du tout à l'univers. Il y'a un truc malsain qui me dérange
vraiment. Je trouve ça vraiment superficiel : il y a des personnages
dans l'image mais aucune profondeur de personnage. De l'image pour de l'image.
Justement parlons-en du côté malsain.
Un journaliste a écrit à propos de la chanson Les Pauvres
que "vos mots étaient parfois à la limite de l'écoutable".
Alors ?
C'est assez bizarre. ca ne me touche pas vraiment.
J'écris, je vais à l'essentiel, à mon essentiel, à
mon urgence sans me poser la question de savoir si cela va plaire ou pas.
Il fallait que j'ecrive Les Pauvres comme ça (Je suis pauvre et
je sens mauvais/Y'a mon litron qui m'a torché/Même pas d'enfants
pour faire pitié...). Les autres morceaux, c'est pareil. Une fois
que le texte est écrit, il ne m'appartient plus mais je sais très
bien que je n'aurais pas pu l'écrire autrement. C'est comme ça.
Des trucs vus, vécus, entendus ?
Un mélange entre des choses vécues
et vues et quelque chose de plus onirique, ce mélange entre réalité
et irréalité.
Tu as un univers très personnel que tu
oses exprimer. Un monde de connivences entre filles. Beaucoup d'hommes
doivent être contents d'y pénétrer ?
C'est assez curieux. Notre public était
effectivement essentiellement féminin au début mais, petit
à petit, de plus en plus d'hommes sont venus. Moi ça me fait
plaisir parce que j'ai vraiment pas l'intention de faire un truc pour les
filles. Il se trouve que l'on est quatre filles sur scène mais c'est
un pur hasard. C'est féminin puisque c'est fait par des femmes mais
rien de militant là-dedans.
Les Elles, pendant féminin de Miossec ?
J'adore Miossec mais je trouve que c'est beaucoup
plus, beaucoup mieux écrit que ce que nous pouvons faire.
Juliette, un univers proche ?
J'aime son intégrité, la cohérence
qui se dégage de son art. Musicalement, je n'aime pas, c'est trop
classique. Mais c'est parfait, c'est elle, c'est son physique, c'est sa
voix. Je l'ai vu sur scène et j'ai été très
touchée. Marie-Paule Belle ? Je ne connais pas mais j'aimerais bien,
je sens qu'il y a un truc pour moi.
Reprendre Made In Normandie de Stone & Charden
sur votre premier album, c'est tomber dans le panneau de la kitsherie à
la mode ?
Non. C'est simplement parce qu'on est normandes
toutes les quatres. En concert, il y avait toute une scénographie
genre cinéma muet qui accompagnait le morceau et qui accentuait
le côté clin d'oeil.
Etes-vous ce délicieux cocktail mêlant
l'univers mélancolique d'une Françoiz Breut et le côté
coquin festif d'une Elli Medeiros ou Lio ?
Il y'a des choses que j'aime chez Lio, pas tout.
Elli Medeiros, j'aime beaucoup et j'adore Dominique A. Il a un univers
vraiment particulier, une voix vraiment magnifique. Les quelques titres
que j'ai écouté d'une oreille distraite de Françoiz
Breut ne m'ont pas accrochés.
Avez-vous le sentiment de faire partie d'une nouvelle
vague de la chanson française ?
Non. Je ne me sens vraiment proche de personne.
En même temps, il y a un réel mouvement autour de la chanson
française et l'on est dedans. Mais c'est vraiment le retour d'une
tradition typiquement française, d'une variété qui
raconte des histoires, la chanson réaliste. La personne dont je
pourrais me sentir le plus proche c'est Brigitte Fontaine... Ce n'est pas
vraiment une jeune. En ce moment, j'écoute l'album de Bashung en
boucle.
Mon zizi ne sent pas le pipi/ Tu peux lui faire
gui-guili ou encore Ma bouche n'est pas très lisse/ Mais j'aime
bien qu'on s'y glisse... Fantasme, provocation ou envie d'écrire
?
Certainement pas un fantasme. Ce serait bien
pauvre. Non, simplement quelque chose qui arrive en studio, qui nous fait
rire tellement c'est gros et amusant puis qu'on garde. Dire des choses
de camionneuses avec une voix et un physique de femme-enfant me plaît
assez. J'aime bien surprendre : "Ah bon, tiens, puisque personne ne pense
que je vais le faire... Allons-y".
Du coup, vous vous êtes souvent faite virer
de l'école ?
Non, pas du tout. J'étais plutôt
du genre à souffrir et à me taire en silence. Je fus très
malheureuse à l'école. Tu sais, ce côté chipie,
espiègle et cruel souvent accolé à ce que l'on fait
est juste un truc de journaliste. Je pense que l'univers des Elles est
plus complexe : il y a une profonde mélancolie, une vraie poésie.
L'ironie sauve-t'elle de tout ?
Pour moi, c'est le moteur essentiel de la vie.
Je n'en ai pas eu plus besoin que d'autre mais c'est essentiel. La grande
recette du bonheur c'est la distance. Pour cela, j'adore les enfants, cette
capacité à trouver du jeu et de la poésie en tout
et partout.
Places-tu beaucoup d'espoirs dans la société
actuelle ?
Je suis assez optimiste et confiante. Enfin ça
m'arrange (rires). Non, je pense vraiment que ça va bouger. mais
je suis un peu déconnectée de l'actualité. Le dernier
truc dont je me souvienne c'est le voyage du pape en France avec le grand
rassemblement des jeunes catho m'a fait peur. Au secours. J'étais
à Paris à ce moment-là et tout d'un coup j'étais
effrayée par le monde qui m'entourait. Je n'ai pas envie de vivre
avec ces gens-là. Me cacher. Je suis totalement allergique à
ce genre de comportement. C'est comme avec les foot. Le pape, c'est pareil
que le foot.
Et les Spice Girls ?
Je ne trouve pas ça étonnant. Elles
sont rigolotes, pas connes, ont de grandes gueules, une vraie énergie,
bougent et chantent super bien... Je ne pense pas que ce soit de la merde.
Je respecte tout à fait ce genre de filles et je pense que si ça
marche aussi fort c'est aussi parce que ce ne sont pas des canons, que
les filles sont assez contentes d'en voir d'autres qui se sapent comme
ça. En tout cas ça me fait moins peur que... Qu'est-ce qu'on
a eu comme crétine féminine française dernièrement
?... Ouais, voilà, je préfère que les gamines délirent
sur les Spice Girls que sur les mannequins. Je trouve ça plus sain.
Elles sont vivantes ces filles. Et la vie, c'est quand même important.
C'est pour cela, par exemple, que j'aime la techno -Chemical Brothers,
Prodigy,...-, j'aime danser, sentir la transe. Impossible d'écouter
ça chez moi, mais en live...
Le rap ?
Les textes me font vraiment chier. Ce côté
social qui ne va pas loin du tout. Je trouve ça très infantile,
ce côté moraliste, prêcheur. En même temps, ce
n'est pas du tout mon histoire. Le rap ne me parle pas, j'ai jamais vécu
en banlieue. Par contre, j'aime bien Zebda. Social mais pas niais et plein
de joie de vivre. Les Femmouzes T. aussi.
Bientôt un troisième album ?
Oui, probablement des reprises, un répertoire
qui abordera nombre des sens de la chanson française. Peut-être
un morceau techno à cappella, aussi. Après? Peut-être
une carrière solo.
Le plus beau mot soufflé à un homme
?
Je ne sais pas. Je suis très pudique.